032020
mars 2020, une installation induite par le confinement sanitaire
photographies moyen format sur film NB
et ce monde d’après ?
S’habituer à l’impensable ? syndrome de Stockholm ? Prendre racine ? se fossiliser ?
Des feuilles qui s’avancent vers un fossile.
« plus ça change, plus c’est la même chose »
ou bien la nature surprise dans une entreprise d’infiltration ? feuilles caméléon dont le ton de camouflage s’accorde au fond en ciment ? Service Après Vente ? date de péremption ? s’affiner avec le temps ? se bonifier ?
Processus sous observation.
par Jean Deuzèmes
Une œuvre photographique qui évoque subtilement le confinement : les fentes d’un mur brut où peut s’installer du végétal, où joue la lumière. Des signes d’espoir dignes du land art dans le temps qui passe.
François Kenesi greffe des feuilles de laurier sur un mur de parpaing. Surprenantes par la forme, « Feuilles de laurier sur mur de parpaing » est un manifeste modeste de résistance au confinement, un geste de pudeur et de discrétion alors que se déroule une tragédie.
Il transforme la rudesse et l’étouffement d’une immense enceinte en étonnement devant un paysage imaginaire ; il lui suffit pour cela d’un peu de végétal. Il glisse de la légèreté dans un horizon bouché et grossier ; il mobilise le soleil pour créer de belles ombres ; il transforme la réalité avec un geste minimal. Son œuvre étrange de land art n’a pas de réelle dimension.
Avec ses photos, qui sont l’équivalent d’un carnet de notes, il redessine le présent abrupt du confinement dans ses interstices, il évoque la sensation du prisonnier qui sait mobiliser son imaginaire, jamais à court, pour s’échapper. Il met la vie là où on ne l’attendait pas, il parle d’espérance, à qui sait l’entendre, en introduisant du symbolique dans le visuel le plus trivial.
N’est-ce pas avec du laurier que l’on tressait les couronnes de vainqueur ?
Par ses photos et ses dessins, François Kenesi travaille les grandes questions du temps avec douceur et respect, en jouant notamment sur deux effets que l’on retrouve dans toutes ses œuvres : la rigueur et la surprise.
Il tient la première qualité de sa formation d’architecte, son œil repère les lignes et les trames dans le réel ; ou bien, il les crée pour exprimer sa pensée. En 2015, dans « Équivalent » l’œuvre d’interrelation qu’il avait réalisée à Saint-Merry lors de la COP 21 pour sensibiliser les visiteurs à la production du CO2 dans leurs actes, il avait dessiné d’incroyables panneaux carroyés qui frappaient par leur nombre et l’atmosphère qui s’en dégageait. Son site Internet regorge d’images d’œuvres extrêmement structurées. L’exposition étrange sur « Les demoiselles de Stonehenge » témoignait aussi de cette rigueur.
La seconde, la surprise, traduit une forme d’esprit toujours en alerte qui utilise l’espace dans lequel l’artiste se trouve pour, avec une pincée de démarche conceptuelle et beaucoup d’instinct, traduire des émotions, évoquer des questions, transformer les réalités les plus banales, leur conférer un pouvoir onirique, sans utiliser les ingrédients du surréalisme. C’est pour cela que les œuvres qu’il produit sont toujours nouvelles dans leur forme.
Par son association de deux matériaux antagonistes, minéral et végétal, on serait tenté de le rapprocher d’un Bertrand Lavier, avec La Bocca sur Zanker (2005), un canapé design posé sur un réfrigérateur. Mais on ferait erreur, car il n’y a rien d’une provocation duchampienne interrogeant le quotidien. François Kenesi ne fait pas partie des nouveaux réalistes, il verse du côté de la poésie visuelle, du doux onirisme. Il accroît la sensibilité du regardeur, il invite à l’éveil de la réalité, à l’association des images.
Avec « Feuilles de laurier sur mur de parpaing », il fait un geste comme un prisonnier confiné pourrait écrire ses rêves, comme un grapheur pourrait utiliser des lignes courbes et des aplats de couleur pour raconter une histoire. Lui utilise les traits des joints laissés par le maçon en montant son mur pour y glisser des feuilles, pour rappeler que cette réalité élémentaire, opaque et lourde, peut être transfigurée par un geste d’artiste. La matière a des creux qu’il décèle.
En architecte, il intègre la lumière*, non pas avec des matériaux, mais avec des feuilles, du végétal plein de symbolique. Ses ombres ne sont pas inquiétantes, elles sont belles comme dans un cadran solaire. Ainsi, la série avec les ombres de grandeurs différentes parle du temps qui passe. Comme pour chacun dans la période de confinement.
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* « L’architecture est le jeu savant, correct et magnifique, de formes assemblées dans la lumière ». Citation bien connue de Le Corbusier