photographies


L’imprudent

par Laurent Deburge


Pour François Kenesi, la photographie est la continuation du croquis par d’autres moyens. Prise de notes d’un voyageur imprudent, elle est d’abord un outil de représentation du réel. Pour comprendre la genèse de ses clichés, il faut avoir feuilleté ses carnets de dessins, où chaque image est bordée d’une marge sacrée, d’un espace préservant son caractère d’évènement. Le cadre est inscrit dans le viseur du Leica M, laissant au photographe l’entière responsabilité de ses choix. L’image n’est pas fabriquée ni posée, jamais recadrée, mais elle impose son cadre, comme en témoigne le liseré noir marquant le bord du négatif. Le réel est un ready-made.
Les photographies de François Kenesi relèvent d’une dialectique de la pudeur. Le portrait est absent, le visage invisible ou exceptionnel. Au grand-angle, le photographe ne peut pas recourir aux artifices du voyeur, caché derrière un téléobjectif. Paradoxalement, la retenue de François Kenesi le rend téméraire et le force à se rapprocher physiquement du sujet pour sortir de sa zone de confort. La distance est résistance et l’image, la résultante d’une guerre livrée contre la timidité, tension palpable à travers le cadre. La photographie n’est jamais volée, elle rappelle l’injonction rimbaldienne à « tenir le pas gagné ». Ici, le seul viol est celui de sa propre réserve. François Kenesi n’a pas « le chromosome de la couleur » et photographie, en argentique, exclusivement en noir et blanc. Il ressent avant tout en termes de valeurs. Même en numérique, la couleur apparaît toujours comme une dissonance, une surprise, porteuse d’ironie. Le regard de Kenesi est toujours premier. Cette virginité est un mode de révélation du réel, où l’abstraction figure l’instant, dans une perfection empreinte de tendresse et de nostalgie, pour qui a compris que la grâce saisie n’est déjà plus qu’un souvenir. L’être fait ainsi clin d’œil, et parle graphiquement, déployant ses lignes, ses symétries, sa nature architecturale. Comme une pudeur ou une élégance du réel, l’abstrait porte le sens et se manifeste comme signe d’une présence, d’une complicité à travers la vacance. On pourrait ainsi dire de Kenesi qu’il est un photographe de vacance, au singulier, d’un espace par lequel l’instant insiste pour nous parler et nous émouvoir.


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